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publier le 13 février 2020
Le chef-lieu de la province du soum, Djibo, a été maintes fois attaquée depuis le début de la crise terroriste en 2016. Tout porte alors à croire que celle ville n’est qu’une maison de paille au lieu d’être une citadelle imprenable. Enquête sur une période d’un mois dans cette ville.
Publié le 15 février 2020.

Djibo. 11h30. Nous sommes le mercredi 27 décembre 2020, je suis arrivé la veille. Un tour dans la ville et l’on se rend compte qu’elle tente avec toutes ses dernières énergies de résister. Les services de la Poste Burkina, de la Caisse urbaine, l’unique banque Coris Banque international (CBI) ont mis la clé sous le paillasson. La population semble s’être vidée car j’aperçus à peine quelques habitants dans les rues à travers la vitre du véhicule qui m’a permis la traversée de Ouagadougou à destination. De prime à bord, les stigmates et ravages d’un conflit asymétrique sont perceptibles dans cette bourgade. La preuve, il est 8 heures au lendemain de mon arrivée et les populations tardent à se lever. Paradoxe pourrait-on dire pour une ville qui connait un couvre-feu qui pousse les populations à renter tôt et donc à diminuer leur hyperactivité la veille. De toute évidence, cette situation devrait garantir un réveil tôt. Notre constat a été que jusqu’à huit (08) heures du matin, les populations étaient encore terrées chez elles. La peur ? La crainte d’un scenario apocalyptique une fois le jour s’étant levé ? On ne peut exclure cette hypothèse. Une chose est certaine, il y a deux ans ce phénomène n’était pas perceptible. La ville dès les lueurs du matin grouillait de monde.

J’ai décidé de faire un tour à la périphérie de la ville. A la sortie, sur l’axe Djibo-kongoussi, le chemin est tortueux. Des trous, des nids de poule…jonchent la voie rouge. Dans la brousse j’aperçois des jeunes qui semblent se promener. L’un d’eux a visiblement une panne de moto. Il porte un blouson marron. Je m’approchai de lui pus je vis qu’il réussit à démarrer son engin. J’arrive à 9h 30 mn dans le village de Ouresaba. Le vent souffle et transporte des grains de sable dans mes yeux. Le temps est en travail. On aurait dit qu’il va accoucher d’une pleine. Pourtant, son ventre est lourd mais rien ne sort. Pas même une fine pluie. Un baume nauséabond est transporté par ce vent et chatouille mes narines. « Il y a un âne qui est mort ? », demandais-je à un villageois après les salamalecs. Il me regarda sans mot dire et rentra chez lui. Fait marquant, à notre arrivée dans ce patelin à l’entrée de Djibo, nous apercevons des charognards. Il y a bien longtemps que nous les avons aperçus. L’un d’eux est plus gros et noir. Il semble être le leader du groupe. A notre approche, avec ses compagnons de manœuvre, ils s’envolent pour se poser plus loin. Dans leur bec, une chose noirâtre. J’ai du mal à réaliser sa vraie nature. Je m’approche de l’endroit où le géant oiseau était avec ses compagnons. Un bois noircit d’environ 1m 60 se libérait de nombreuses mouches. Une forte odeur pestilentielle envahit mes narines. Mes tripes se mettent comme à remonter à ma gorge. Je m’accroupis. Une boule de ces tripes force le passage pour se déposer dans le sable fin sahélien juste devant moi. Je me libère des restants de cette mauvaise odeur au niveau de mes lèvres. J’ai vomi mes tripes. Il faut que je me nettoie, me dis-je. Je me mets alors à boire le sachet d’eau que j’ai pris soin d’emporter avec moi. Là à côté de moi, un cadavre en putréfaction difficile à identifier. Il faut quitter les lieux.

Maquis la J……….., la résistante
De retour en ville, je fais un tour au maquis J…, que je fréquentais. L’entrée est déserte de motocyclettes. L’ambiance est tamisée. Une musique tonne mais ce n’est plus le même volume que lorsque je séjournais dans cette ville. Il s’agit de la musique du groupe les As DJ, « Papa Bakala ». Sur la piste, des traces de l’ambiance de la veille. Pas de danseurs. J’attends qu’on me serve. Les serveuses sont assises à l’autre bout du maquis à deviser. Elles ne sont plus nombreuses. « on a plus que dix filles », me lance le « manager ». L’une d’entre elle m’aperçois. « Oh, vous avez disparu. Ce sont les gens d’où qui nous saluent », lança-t-elle. « C’est Ouaga. Je suis à présent à Ouaga », dis-je. « Ah, nous on est là oh. On n’a pas là où aller seulement sinon on serait parti », me dit-elle. Sur la terrasse quelques clients qui jettent des coups d’œil furtifs vers la voie au moindre bruit.
Je passai de bons moments avec des amis que je venais de revoir. « Au retour de la paix au soum », avions-nous dis avant de boire le contenu de nos verres. Je demandai ensuite à prendre congé d’eux. Ils me raccompagnèrent au parking. « Rentre en bonne santé à Ouagadougou ! », lancèrent-ils. Au parking, j’aperçus le jeune homme qui faisait semblant de réparer sa moto à quelques encablures du village de Ouresaba. « Naaba, bonne arrivée », dis le gérant du parking. Je me rendis alors compte que ce monsieur était « un corps habillé » comme on a l’habitude d’appeler les hommes de tenue. Il était certainement en mission dans cette brousse et m’espionnait. Je quittai les lieux.

Ville quadrillée !
Il y a un mois que j’ai quitté cette ville. Aussi me dis-je qu’il faut que j’aperçoive tous les changements intervenus. Je prends la décision de rentrer chez moi. Au chemin du retour, je m’aperçois alors que bien de choses ont changé. Les barrages des Forces de défense et sécurité sont encore plus présents et pressants. Des sacs sont fouillés de plus en plus lorsqu’on voyage avec l’autobus. Ce n’était pas le cas il y a quelques mois. Le contrôle en ces temps passée concernait précisément l’identité. Aujourd’hui, le moindre détail pas clair sur soi fait l’objet de vérification. De notre pied-à-terre, nous faisons une balade en ville. « Vroum, vroum », c’est le bruit des quelques motos matinales qui se dirigent vers le centre-ville. Aux environs de la Brigade territoriale (BT) au secteur 3, le dispositif sécuritaire est perceptible. Il y a plus de véhicules militaires que d’habitude. Des jeunes sont regroupés en quinconce. Ils se saluent, secouent les mains, rient.
Un bâtiment semble plus vieux que les autres. C’est la Compagnie de Gendarmerie, appelé par son dimunitif, « compagnie ». Il croule encore sous le poids de sa rusticité. C’est une bâtisse haute, style colonial qui se dresse à l’entrée de la ville côté sud. Ses mûrs aux tyrolienne ocres se dressent comme des témoins d’un passé lointain. Des pans de cette tyrolienne pendent vers le bas. Des zébrures tels des artefacts rappellent la vieillesse des locaux. Des gendarmes en tenue « terre du sahel » rentrent, ressortent, devisent. L’un d’entre eux est assis. A ses côtés, une théière surchauffée qui rejettent telle une cheminée ses brûlures du ventre. Il est le fakir du jour de toute évidence. Son treillis n’est pas complet. Il a porté un tee-shirt de cette tenue et un pantalon équivalent. Il sert le thé bouillant dans un petit verre et le fait mousser par la suite. Quelques gestes répétés de ce rituel et le voilà rentrer dans le bureau du chef. Ses collègues sont aux aguets à quelques mètres de là. Ils représentent les sentinelles dans ce dispositif.
Nous sommes au 2 janvier 2020. Toute la ville est sous le choc. En effet, une attaque qui a duré environ une heure la nuit du 31 décembre 2020 a ôté à la ville son plus haut gradé, un lieutenant. La nouvelle a couru dans la ville comme une traînée de poudre. Beaucoup n’y croyaient pas mais elle s’est dressée droite, macabre : le Commandant de brigade a été fauché dans « l’attaque du réveillon ». Maintes chefs de service étaient dans diverses villes du pays pour fêter avec leur famille. Aussi ceux qui ont quitté Djibo n’étaient pas nombreux. A la délégation de Djibo s’est rallié celle de Ouagadougou et des autres travailleurs pour l’enterrement du Lieutenant Réné Ouoba, Commandant de brigade (CB) de Djibo assassiné le 31 décembre par des Hommes armés non identifiés (HANI). L’enterrement a eu lieu au cimetière de Gounghin dans la capitale burkinabè. Jugé plus réservé et sociable de son vivant, ce commandant a marqué les populations de la localité. Selon ce qu’ont pu rapporter les membres de la délégation à leur retour, le Lieutenant a connu un solennel et vibrant hommage. Des collègues, des djibolais et djibolaises, ses connaissances des postes antérieures dans lesquels il a servis…étaient présents à cet enterrement. A distance, la majeure partie de la population de Djibo a pleuré son CB bien aimé. Celui qu’on a obligé les dernières minutes de l’année à ne pas atteindre la nouvelle année.
Djibo, l’imprenable

Le 15 janvier 2020, nous passons un appel à un ami dont la boutique est à quelques encablures du Centre médical avec antenne chirurgicale (CMA) de Djibo au secteur 1 de la ville. A l’autre bout du fil, une voie faible, étiolée. « Tu m’entends ? », disions-nous. « Je te rappelle. Je ne peux pas te parler », réponds mon vis-à-vis. A peine avions-nous raccroché qu’un confrère de Ouagadougou nous appelle. « Il semble qu’il y a des tirs au centre-ville de Djibo. Les populations seraient terrées. Tu confirmes cette information ? », dit-il. « Deux minutes, je te rappelle », dis-je. Après quelques coups de fil passés, je le rappelle pour confirmer l’information. Des terroristes auraient été abattus alors qu’ils étaient venus pour soigner un des leurs. Les sources officielles font cas de dix (10) personnes. Mais à Djibo, notre source fait cas de deux terroristes abattus et un arrêté. Selon certaines sources, celui arrêté a été passé aux armes dans la brousse à quelques encablures du camp militaire du Groupement des Forces anti-terroristes (GFAT). « Nous étions là à deviser aux environs de onze heures lorsque nous avons entendus des tirs à proximité du CMA. Mes voisins se sont mis à courir. D’autres ont fermé leur boutique et nous nous sommes mis à l’abri », a expliqué S.K, avec qui nous avons échangé le jour de la fusillade dans la nuit. Le CMA de Djibo n’a plus la même affluence que naguère. A la demande que j’ai fait de faire un reportage dans ce temple de santé, le niet ne s’est pas fait attendre. Les derniers évènements liés à l’attaque de terroristes venus se soigner en est pour beaucoup.

Silgadji, l’horreur

Nous avons observé trois semaines de repos avant de rentrer à nouveau au Soum. Le 25 janvier au petit matin, nous nous sommes réveillés à l’idée que s’annonçait une journée ordinaire sans coups de feu. Que nenni ce défi est désormais difficile à relever à Djibo et environs. Les coups de feu, les cadavres qui jonchent les rues sont désormais fréquents. A Silgadji, des hommes armés ont fait des victimes civiles au marché. Que s’est-il passé ? « Le marché du village battait son plein lorsque sont arrivés des hommes en armes. Ils ont d’abord tiré en l’air. Puis ont encerclé le marché tirant des coups de feu sur tous ceux qui fuyaient ou qu’ils semblaient ne pas aimer », a indiqué O.O, un rescapé de cette tuerie. Et d’ajouter : « Nous avons appelé les secours mais nous étions surpris du fait qu’ils ne venaient pas ». Pour ce cas, malheureusement, l’armée n’a pu intervenir. Elle ne l’a pas caché. En effet, la gendarmerie dans un communiqué la même soirée a argué le fait que des mines enfouies dans le sol attendaient l’arrivée de leurs troupes. Or, elle n’aurait pas les moyens immédiats de désamorcer ces engins explosifs. Elle a alors appelé la population à signaler toute situation anormale constatée dans le sol ou le sous-sol ou encore tous mouvements suspects.
Kelbo-Barsalgho, axe de la mort
Onze jours après l’épisode du CMA, nous pensions que nous aurions des lendemains calmes. L’attente ne sera pas longue. Des infirmiers qui revenaient de leur concours professionnel sont attaqués par des hommes armés sur l’axe Barsalgho-Dablo. Une infirmière, Sanata SIMPORE trouvera malheureusement la mort dans cette attaque. Elle fait partie des « agents de santé volontaires » que le maire de Kelbo a récemment recruté pour pallier l’absence d’agents de santé publics. Ces agents ne pouvant pas exercer en toute quiétude ont été affecté dans d’autres localités par la hiérarchie. Cette funeste situation a mis le Syndicat national des travailleurs de la santé humaine et animale (SYNTSHA) dans une mauvaise posture car l’agent décédée n’avait pas été officiellement recruté (absence encore de documents administratifs) par la Mairie de Kelbo et ses compagnons d’infortune de même. Le syndicat a présenté ses condoléances à la famille de la défunte et sa compassion à ses compagnons qui sont resté sous le choc.
L’axe Kelbo-Barsalgho, ancienne piste empruntée depuis les temps anciens par les forgerons et commerçants de la province du Soum et de la région du Centre-Nord est devenue un axe de tous les dangers. Pourtant son importance n’est plus à démontrer. En effet, il relie les deux provinces et permet aux commerçants de gagner en temps en passant par kaya pour rejoindre la province du Soum. Ils sont généralement en quête de bétail et d’or. L’histoire a malheureusement fait des provinces qui abritent Barsalgho et Kelbo, les plus touchées par les attaques terroristes. Lors d’une de nos déplacements, nous nous sommes rendus à l’évidence que l’esprit des habitants est encore fébrile. Le 10 décembre dernier, c’est le chef du village de Kelbo qui tombait avec un groupe de cinq autres victimes suite à une attaque d’assaillants. Les HANI s’en sont pris à cinq civiles en leur tendant un guet-apens à mi-chemin entre Dablo et Barsalogho dans la région du Centre Nord. On se souvient également qu’au mois de septembre dernier, 14 personnes transportant des vivres d’une organisation internationale pour les personnes déplacées avaient trouvé la mort sur l’axe Dablo-Kelbo.
Allons-nous rentrer à Ouagadougou sans y laisser des plumes ? Rien ne le laisse présager. Notre dame de retour est arrivée et nous étions impatients de reprendre le chemin du retour. Partir c’est mourir un peu. Nous avons un pincement au cœur car nous avions tissé des relations avec des personnes dans cette ville. Humainement, la séparation n’est pas facile. Nous ne savons pas de quoi sera fait le lendemain.

Visiblement les fondements des sociétés des provinces du soum et du Sanmentenga sont en train de voler en éclats. Dans les rues, les personnes sont méfiantes les unes des autres. Le 30 janvier, le jour de mon départ, j’ai été surpris de voir que des personnes qui partageaient la même table que nous se sont tues et se sont ensuite dispersées à l’évocation de la question terroriste par moi. Ce fut aux alentours du l’hébergement « la Savane ».
Les sociétés à la tête desquelles sont placées des chefs se retrouvent « sans chefs » car ceux-ci gèrent à distance les affaires courantes. Ils se sont exilés. A leur décharge une violence meurtrière à leurs égards. Les responsables à quelques niveaux que ce soient sont tués, menacés et les plus chanceux sont contraints à l’exil. La preuve, le 27 août 2019, le chef du village de Kourao situé dans la province du Bam dans le Centre Nord, une province voisine du Soum a été aussi assassiné par des hommes armés non identifiés tout comme le député-maire de Djibo le 03 novembre 2019. Un holocauste qui refroidi les ardeurs de ses concitoyens. Sur l’axe Djibo-Kongoussi il trouvait la mort avec trois autres personnes qui étaient dans le véhicule avec lui.
Djibo, souffre le martyre mais elle ne cède pas. Elle passe sans doute pour un symbole de résistance. Même si la raréfaction de l’essence se fait de plus en plus sentir. « Comme convenu, prends un litre dans le sachet que je te donne et tu déposes discrètement l’argent sans que les autres ne le sachent », m’a confié un gérant de station d’essence auquel je m’étais référé. Quel avenir dans ce bled d’ici quelques mois ? Nul ne pourrait le dire. Aux lendemains de l’adoption à l’unanimité du projet de loi portant recrutement de volontaires pour la défense de la patrie (VDP), des questions se posent à moi. La résilience de cette ville sera-t-elle renforcée ? Compte tenu de l’infiltration/présence de groupes armés et complices dans cette zone. Son plan de volontaire ressemblera-t-il aux autres ? Autant de questions qui ont taraudé notre esprit curieux lorsque nous quittions la ville le 1er février 2020. Roger SAWADOGO.

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