Dans le cadre d’une série d’articles consacrée à la situation sécuritaire au Sahel burkinabè, notre reporter va effectuer des voyages dans la province du Soum, l’épicentre des attaques terroristes dans notre pays. Il s’agit pour votre journal de vous faire vivre et vivre les réalités des populations locales. Celles-ci sont souvent les plus oubliées pendant qu’elles sont celles qui subissent le plus les affres de la guerre.
Secteur 4 de Djibo, chef-lieu de la province du Soum. Il est 12heures. La gare S…. de la ville grouille de monde. A l’entrée, un dessin souhaite la bonne année 2019. La gare est bien spacieuse. Mais cet après-midi, elle paraît réduite. A gauche lorsqu’on rentre, c’est une vaste rangée de motos. Son enceinte est bien présentée avec toutes les destinations de la société. Dans son antre, des matelas, des chaises, des buffets, congélateurs visiblement usagers, des tables posées à même le sol. " Apprenti as-tu embarqué mon mouton dans le coffre ? ", lance une dame. Sur son visage, le masque. Une rivière de sueur coule de son front pour former un fleuve puis le liquide se disperse sur les entournures de son corps. Quelques minutes et la robe dentelle qu’elle porte est trempée dans le liquide vital. Dans cette ambiance faite de brouhaha et d’échanges mezza voce, la gare ravit la vie à la ville. Non loin du coffre, un jeune la trentaine, les lunettes sombre et habillé d’une veste blazer noire se penche vers un autre jeune homme. " J’espère aujourd’hui que je pourrai bouger avec mon engin ? ", clame aussi un jeune. " Oui, ne t’inquiète pas j’ai géré ", répond K. le jeune convoyeur.
N.., le guichetier est un homme de taille moyenne. La trentaine sonnée. Il tient dans sa main une liste de noms.
– OUEDRAOGO…
– Présent
– DICKO M…
– Présent
Chaque passager ou passagère répond à son nom. Il faut ensuite montrer le ticket de voyage, son numéro et l’heure de départ enregistrés. Dame DICKO s’avance. " Excusez-moi on vient de m’appeler ", lance-t-elle aux autres voyageurs impatients et qui obstruent la portière du car par leur présence.
Cela fait dix minutes que les uns et les autres entrent dans l’engin à l’appel de leurs noms. A l’intérieur de ce car aux vitres teintées, les passagers sont trempés. Ils attendent impatiemment le top de départ du chauffeur. Ils se sont installés il y a quelques minutes mais la surcharge du nombre de passagers dans le car fait que même les couloirs sont noirs de monde. Un couple assis au fond cherche plus d’oxygène et se donnent du souffle avec des éventails. Une vieille, les yeux enfoncés, le regard vide vient de monter. Elle tient un enfant de sa main droite et a visiblement du mal à soulever l’enfant pour le faire monter. " Aidez-moi jeunes gens ", lance-t-elle à l’endroit du groupe de jeunes bruyants qui est installé à ses côtés. Elle vient du village de Toufé (sur l’axe Ouahigouya-Djibo) selon ce qu’elle raconta plus tard. Son transport envoyé la veille par son petit-fils par le biais de transfert électronique, elle n’a pas hésité à fuir les démons enturbannés qui ont perturbés sa vie un après-midi. C’était environ à un mois de cela. Ils ont tué le chef de famille et ont tiré des coups de feu en l’air, a-t-elle précisé lors de ses échanges avec ces jeunes qu’elle a fini par adopter suite au service qu’ils venaient de lui rendre. " Que Dieu nous aide à quitter cet enfer mes fils ", lance-t-elle d’une voix étouffée par l’émotion.
C’est dans cette ambiance tendue que le chauffeur fait démarrer au quart de tour la clé du véhicule. C’est un jeune homme de teint clair, habillé en tenue de sport. Son petit geste vient visiblement de détendre l’atmosphère. L’on entend en effet dans le car, " enfin ! ". L’ambiance relaxée vient du fait que les groupes armés, on ne sait par quelle astuce, ont laissé entendre qu’ils attaqueraient la ville. Cette psychose a été renforcée par le départ précipité des flics de la ville.
Que nenni ! Les occupants du car avaient enfin leur sésame et cela suffisait. Quitter. Partir. Ils étaient hantés par cette idée obsessionnelle de rupture. Hop ! " Vroum…vroum ", c’est le bruit du moteur qui fait déplacer le serpent en ferraille. La haute locomotive s’incline, se redresse. Elle serpente à travers les rues accidentées de la ville. Une inclinaison à droite, une autre à l’inverse…le rythme est ralenti. Mais l’engin avance quand même. Nous sommes bientôt au monument représentant la dame au canari. Un symbole des origines de la ville inauguré par le ministre de la Culture d’alors Tahirou BARRY.
Les boys sont là !
Trente minutes de route et nous voilà sur la Route nationale 23 (RN 23) reliant Djibo à Kongoussi. La vaste plaque indiquant " bonne arrivée à Djibo " est parcourue à l’inverse. La plaque vieillie de l’ENEP privée semble dire au revoir aux passagers. Elle-même ne vit plus depuis que son propriétaire a mis les clés sous la paillasson.
Trente minutes de route. La chanson du groupe As D.J lance les décibels, " on veut la paix…La paix, la paix, la paix on veut la paix ". La musique caresse encore les tympans au grand bonheur des mélomanes du car quand le chauffeur marque un arrêt. Les passagers sont surpris. Ils ouvrent les yeux pour se rendre à l’évidence ce qui se passe. Au loin, un convoi de militaires avec une importante logistique s’approche. Certains sont à deux sur des motos. D’autres suivent avec des véhicules type bastion. Les passagers s’exercent à compter le nombre de blindés militaires et les engins motorisés.
Dans le car, c’est le soulagement. " Si nous savions qu’ils arrivaient nous ne serions pas en train de fuir.. ", commente Z. une jeune fille déplacée originaire de la commune se Pobé-Mengao. " Avec ce qu’on a vu, cette nuit, les populations de Djibo vont dormir dans la quiétude ", fait remarquer un vieillard. L’attente de convoi précieux et convoité dure vingt (20) minutes. " Vroum…vroum ", le moteur du véhicule est à nouveau relancé. Namsiguia, Woussé…et nous sommes à Bourzanga.
Stop Bourzanga !
A Bourzanga, les vendeuses de maïs rivalisent chacune d’avec l’autre. Les mélodies qui transpercent le silence sont diverses. " Kamana bee ka (il y a du maïs ici en langue mooré, ndlr) ", entend t-on par intermittence. Des filles plus jeunes lancent " koom mansga bee ka (l’eau fraîche est disponible, ndlr) ". Dans cette ville où l’orpaillage a pignon sur rue, des passagers montent. Ils ont tantôt une bandoulière. Tantôt une machine détecteur de métaux. Parfois ces machines sont en panne et l’expertise locale ne permet pas leur remise en marche. La chaleur dans le car monte d’un cran. Les sueurs des passagers s’entremêlent. Des senteurs nauséabondes envahissement le car. De plus en plus, on étouffe là-dedans. Les rares courants d’air sont travestis par la chaleur des corps parfois mal lavés et les puanteurs des bagages. " Chauffeur faut démarrer. On n’arrive plus à respirer ", lance une dame en désespoir de cause.
Kongoussi la libération !
Trente minutes après notre escale dans la ville à fort potentiel d’or, nous rentrons dans la ville de Kongoussi. Cette localité est devenue l’anti-chambre financière de Djibo. Elle sert à effectuer les opérations bancaires pour ceux qui n’ont pu le faire à Djibo du fait de la fermeture de l’unique banque de la ville. Au niveau de la Banque, CBI, à quelques encablures du maquis SODIGAZ, quelques passagers qui ont négocié à l’avance sont déposé par le chauffeur. A peine descendu, ils s’engouffrent dans la banque à travers ses portes aux vitres sombres. Trois minutes de vrombissements du moteur. Nous sommes au plus grand rond-point de Kongoussi. C’est une place joliment décorée. La superstructure principale présente deux grosses mains tenant une grande calebasse. Le tout est entouré par une clôture de murets en fer. Le véhicule fait le tour et le voici à la gare.
Ouaga enfin !
A l’étape du village de Malou, les passagers se soumettent à un autre contrôle d’identité par la Gendarmerie. Là, les visages se dérident. Les échanges entre les voyageurs se font plus cordiaux. " OUEDRAOGO Lookmann, tu vas à Ouagadougou pour quoi ? ", lance le pandore. " Je fuis le conflit ", répond le jeune. Hilarité d’une bonne partie des passagers !
Dans les herbes, certains passagers, pour la plupart des hommes se soulagent. Ils urinent dans les herbes. Les femmes vont encore plus loin pour préserver leur intimité. Quelques musulmans saisissent cette occasion pour dresser une mosquée d’infortune sur une place aride d’herbe. Un tapis est parfois mis. Pour certains, c’est le sable qui accompagne les gestes de prière.
" On a échappé ! "
A Ouagadougou, à la gare principale du quartier LARLLE, c’est une longue file de parents, connaissances, amis qui sont venus souhaiter la bonne arrivée à leurs proches. " On a échappé ", lance Mariam, une jeune fonctionnaire qui n’espère plus revenir à Djibo et environs. Oui, ils l’ont échappé bel. Et ces passagers sont contents de leur périple qui s’est bien achevée sans un accident. " Adieu Djibo " se permet de lancer un jeune écolier dont les parents ont obtenu l’inscription dans une autre ville pour cette rentrée. Y aura-t-il classes dans la province du Soum dont Djibo est le chef-lieu. Rien ne laisse présager. Une chose est certaine, l’ambiance est bonne enfant à la gare. Des rires fusent. Des accolades sont faites. Des embrassades saluent les " revenants ". Du moins les vétérans de Djibo. Quel avenir pour demain ? Quelle saignée ?
Camille OUEDRAOGO envoyé spécial à Djibo.
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