Partout à Damas, les recherches pour retrouver les disparus sont désespérées, les familles cherchant elles-mêmes dans les morgues, dans l’espoir – et la crainte – de retrouver leurs proches.
Depuis des années, on nous parle d’arrestations massives, de disparitions et d’assassinats de quiconque s’oppose de près ou de loin au régime syrien de Bachar al-Assad. Mais ce à quoi nous assistons aujourd’hui est la preuve quotidienne, s’il en était besoin, d’une campagne de répression et de meurtres menée à une échelle industrielle.
La jubilation suscitée par la chute du régime se transforme désormais en deuil, alors que les corps de ceux tués par Assad et ses hommes de main sont découverts et lentement, très lentement, identifiés. Sortant de l’intérieur sombre de la salle réfrigérée de la morgue de l’hôpital Al Mojtahed à Damas, un corps est transporté sur un brancard vers la zone d’examen. Ils tentent d’identifier l’homme mort. Tout ce qu’ils savent, c’est qu’il a été assassiné.
Dans toute la capitale, les recherches pour retrouver les disparus sont désespérées. Il n’y a pas d’autorité locale, donc les familles doivent elles-mêmes chercher dans les morgues. Nous les regardons ouvrir les sacs mortuaires pour prendre des photos des victimes, essayant de déterminer s’il s’agit de membres de leur famille. À côté d’eux, la porte du réfrigérateur a été ouverte, et à l’intérieur se trouvent plus de 30 personnes, chacune portant un numéro, enfermées dans des sacs mortuaires. Sur le sac est inscrit le signe distinctif des morts non réclamés. Ce sont les victimes inconnues de ce régime.
À proximité, des membres de la famille ouvrent des casiers réfrigérés en argent à la recherche de corps, avant que le personnel de l’hôpital ne leur crie de vider la pièce. Ils prient pour pouvoir au moins retrouver celui qu’ils ont perdu et, peut-être, enfin tourner la page. À mesure que les gens publient des photos des corps sur les réseaux sociaux, la nouvelle se répand et de plus en plus de membres des familles arrivent. Une fois les corps identifiés, les familles peuvent les emporter. Nous filmons un sac mortuaire blanc posé sur les genoux des membres de la famille qui attendent à l’arrière de leur voiture. Les scènes auxquelles nous assistons sont absolument chaotiques. Les gens ici sont désespérés d’avoir des nouvelles. Ils se bousculent pour entrer dans l’hôpital, essayant désespérément de pénétrer à l’intérieur et d’apercevoir les morts. C’est tout simplement désespéré.
«Ils entravent le travail de l’équipe»
Les spécialistes médico-légaux s’efforcent d’identifier les corps, mais il leur est difficile de travailler au milieu de ce chaos. « Rien qu’hier, nous avons reçu un total de 35 corps, transférés de l’hôpital d’Harasta, il semblerait qu’il s’agisse de détenus de la prison de Sednaya », me dit le Dr Mohamad Jafran. « Ils sont arrivés dans la soirée, ont été examinés, numérotés, photographiés et les photos ont été envoyées aux familles pour les procédures d’identification et de reconnaissance.
« Le problème auquel nous sommes confrontés est l’interférence des familles, car elles entravent le travail de l’équipe médicale », poursuit-il.
Lui et son collègue portent des combinaisons blanches de protection contre les matières dangereuses, des masques et des gants lorsqu’ils déplacent les corps dans une pièce pour un examen plus approfondi. Pour certains ici, c’était la nouvelle qu’ils attendaient mais qu’ils redoutaient d’entendre – ils voulaient savoir ce qui s’était passé.
« Des tyrans sans honneur »
La famille élargie de Mazen al Hamada se rassemble en deuil, sanglotant silencieusement dans un coin du complexe hospitalier. Mazen était un militant anti-régime éminent et même célèbre qui, selon certains, s’était enfui en Allemagne, avant d’être persuadé de revenir par le gouvernement syrien grâce à une amnistie. Mazen a été arrêté et, comme on vient de le dire, assassiné en captivité.
« Un gang l’a amené sous prétexte de réconciliation, en disant qu’ils ne lui feraient aucun mal, mais ce n’était que mensonge. Ils l’ont livré au régime », m’a raconté sa sœur Iman Bseis Hommada.
« Que puis-je dire ? Des criminels, des criminels de guerre, des tyrans sans religion, sans honneur, sans morale, sans conscience, qui n’appartiennent pas à l’humanité… Que puis-je dire ? »
Avec autant de morts et de disparus, tenter de retrouver et d’identifier tout le monde sera une tâche herculéenne. Une femme s’approche de moi et commence à ouvrir son sac à main, elle en sort une photo : « Mon fils, mon fils », me dit-elle, « je ne l’ai pas vu depuis 12 ans ».
«Rien, pas d’appel téléphonique.»
Pour les familles comme la sienne, la recherche est devenue une préoccupation à plein temps. La détention et le meurtre de toute personne s’opposant au régime d’Assad semblent avoir été menés jusqu’au bout. La dépouille d’Ahmed al Khatib a été transportée à la hâte dans une voiture qui l’attendait, par sa famille. Sa famille affirme qu’il a été arrêté 24 heures avant la chute du régime.
Il fut l’un des derniers à mourir. Il y en eut des centaines de milliers avant lui.
Source Stuart Ramsey, news.sky.com
*Le titre est de la rédaction de www.lesoleil.bf