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Extrémisme violent dans le Soum : du délaissement de l’Etat à la radicalisation

Par Roger SAWADOGO
La province du Soum dans le Sahel burkinabè a vu naître le premier groupe terroriste burkinabè et est devenu depuis 2016 l’épicentre d’attaques terroristes contre les symboles de l’Etat. Selon le rapport n° 254 d’International Crisis Group Afrique sur le Burkina Faso, intitulé "Nord du Burkina Faso : ce que cache le djihad", cette résulte en grande partie d’une extension du conflit malien, mais aussi et surtout d’une dynamique endogène.

« Presque tout manque ici ». Le constat est d’Amadé Ouédraogo, d’un air partagé entre frustration et résignation. Pour ce jeune paysan de la province du Soum rencontré dans un grin de thé au quartier Bakporé, cette situation est déplorable au regard de la richesse minière de la région.
Et le résident de lister alors les maux de sa province de 400 000 habitants répartis sur plus de 12.000 km2. : « les infrastructures routières sont insuffisantes et peu développées. Djibo, la plus grande ville et chef-lieu de la province, n’est pas reliée à la capitale par un goudron. Le barrage qui aurait pu aider les populations dans leurs activités maraîchères s’assèche de plus en plus » !
Le Soum est une des 45 provinces du Burkina Faso. Elle est située dans le nord, La partie sahélienne du pays. Selon le découpage administratif, le Burkina Faso compte 13 régions et le Soum est situé dans celle du Sahel dont la capitale est Dori.
Pour Amadou Dicko, un autre habitant de Djibo, les ressortissants de la zone ne profitent pas vraiment de la présence des entreprises minières étrangères. « Nous ne sommes pas recrutés par les compagnies minières parce qu’elles disent que nous n’avons pas le niveau d’instruction. Pour avoir le niveau, il fautavoir fait des études dans une école professionnelle et technique, or toute la région n’en n’avait pas jusqu’en 2013 », explique-t-il.
C’est à l’occasion de la célébration tournante de la fête de l’indépendance, le 11 décembre 2013 à Dori la capitale de la région du Sahel, qu’une école professionnelle a été construite dans la région.
Amadou Dicko ajoute que l’exploitation des deux grandes mines a commencé il y a plus longtemps, (celle de Belahouro en 2009 et celle d’Essakane en juillet 2010, NDLR).
Il assombrit davantage le tableau en ajoutant : « au niveau de la plus grande richesse que constitue le bétail, l’insécurité a fait fuir les acheteurs. D’ailleurs, il n’y a pas de bonnes routes pour le convoyage des animaux. Il n’y a pas d’usines de transformation sur place ».
Pour Dicko et Ouédraogo, l’absence de l’État, ce « délaissement » explique la radicalisation de certains habitants de la région et l’émergence d’Ansaroul Islam, groupe djihadiste qui écume le Sahel burkinabè et qui a été fondé par Malam Dicko, un fils du Soum, filleul d’Amadoun Koufa, prédicateur radical malien.
« La perception d’un État distant, incapable de fournir des services, explique aussi l’essor du mouvement Ansaroul Islam de Malam Dicko. La population a le sentiment que la région du Sahel est délaissée par l’Etat et que ses potentialités économiques ne sont pas mises en valeur. (...) C’est d’ailleurs l’existence de richesses agricoles, pastorales et minières qui, par son contraste avec le sous-développement, crée de la frustration. Faiblesse des infrastructures routières en particulier, nombre limité de centres de santé et d’écoles, manque d’eau et d’électricité (...) Djibo, le chef-lieu de la province, abrite le plus grand marché à bétail du pays, mais la ville attend toujours le bitume », écrit l’International Crisis Group dans son rapport n° 254 sur le Burkina Faso intitulé "Nord du Burkina Faso : ce que cache le djihad".
Au nombre de ceux qui croient en cette thèse, E.B est un notable coutumier qui a requis l’anonymat. Il associe les attaques à la frustration ressentie par une partie de la population. « Il y a une communauté peule qui est historiquement installée sur son territoire et qui a l’impression d’être mal rétribuée dans la République », déclare-t-il lors de nos échanges à Djibo le 31 septembre dernier.
Même si des zones comme le Centre (ndlr, Ouagadougou a été attaqué à trois reprises) et la Boucle du Mouhoun ont ététouchées, la grande majorité des attaques concernent la région du Sahel peuplée majoritairement de Peuls.
Selon Mikaïlou Sidibé, expert en infrastructures au G5 Sahel, en établissant une analogie avec les autres pays du G5 Sahel, à savoir le Mali, le Niger, le Tchad et la Mauritanie, il apparaît que les attaques terroristes sont plus fréquentes dans des zones où il y a une insuffisance d’infrastructures sociales de base. L’analyse de la configuration des groupes terroristes montre que leurs adeptes viennent des milieux démunis au plan infrastructurel, ajoute-t-il.
« Dans la plupart des cas, les personnes enrôlées dans les groupes djihadistes, à l’exception de Daesh, sont issues de milieux défavorisés », déclarait le Colonel de Gendarmerie à la retraite Jean Paul Bayala, lors d’une conférence sur le terrorisme tenue à la salle de réunion de la Mairie de Djibo en janvier 2017.

Malam Dicko, fondateur du groupe terroriste Ansaroul Islam, en est un exemple. Il est originaire de la localité de Saboulé située dans la province du Soum (commune rurale de Baraboulé). Fils de prêcheur pauvre, il conteste l’organisation sociale en vigueur dans la province du Soum et durant des années a prôné l’égalité entre les classes sociales dans ses prêches à la radio, La Voix du Soum et à La radio lutte contre la désertification (LRCD). Il se radicalise et rejoint les troupes d’Hamadoun Koufa au Mali auprès duquel il combat. Son organisation tient l’Etat burkinabè responsable de la pauvreté dans la province du Soum et l’accuse de maltraiter les populations de cette partie du Burkina.

Selon E.B, l’absence d’actions concrètes de développement au niveau local et la corruption des autorités administratives et sécuritaires, « qui rackettent souvent les populations », expliquent l’adhésion de jeunes à Ansaroul Islam.
Comme les adeptes de Malam Dicko, il pointe du doigt le mauvais traitement et l’humiliation dont font parfois l’objet les habitants du Sahel, majoritairement peuls.

Un problème d’enclavement
Avant août 2016, il fallait huit heures de route pour rallier les 200 km qui séparent la capitale Ouagadougou à Djibo, tant l’état de la route était désastreux. Le bitume s’arrêtant à Kongoussi (95,7 km de Djibo). Annoncés pour le dernier trimestre de 2015, les travaux de bitumage du tronçon Kongoussi-Djibo n’ont débutéfinalement que le 12 août 2016, après moult manifestations des populations pour dénoncer son état désastreux. C’est le cas notamment en septembre 2014, lorsque plusieurs manifestations ont éclaté à Djibo sous l’impulsion de la société civile pour dénoncer l’état de la route menant à Ouagadougou et réclamer son bitumage.
« Aujourd’hui, avec les travaux de bitumage, qui ont amélioré l’état de la voie, le calvaire des voyageurs est réduit à moitié. Les conditions se sont améliorées », déclare Abdoulaye Nacanabo, employé de la compagnie de transport STAF qui dessert la province.
Mais les travaux traînent trop au goût des populations. Lors de la dernière visite de chantier du ministre des Infrastructures le 29 mars 2018, celui-ci annonçait la fin des travaux dans les deux mois qui devaient suivre. A la date du 14 novembre 2018 où nous nous sommes rendus sur le chantier, soit au moins cinq mois après l’annonce de la fin des travaux, la route n’était toujours pas opérationnelle à 100%.
Au moment des premières attaques terroristes dans la zone, le problème de l’enclavement se posait toujours avec acuité. L’état de la route favorisait les braquages et l’activité économique en prenait un coup. En 2016, un ressortissant ghanéen venu acheter des bovins fut tué. Ses compatriotes ont donc cessé de venir au Soum pour l’achat de bétail.

Un sentiment de délaissement

Baraboulé, autre localité de la province du Soum, a été la cible, à plusieurs reprises, d’attaques terroristes, au point que son chef coutumier se réfugie à Ouagadougou, car ayant échappé à une tentative d’assassinat par des présumés terroristes. Selon une source sécuritaire de la gendarmerie nationale, c’est pour sa collaboration supposée avec les forces de défense et de sécurité que le notable a été ciblé par les terroristes.
Le Plan communal de Développement (PCD) de la commune rurale de Baraboulé, consulté dans le cadre de cette enquête, montre que la commune dispose au total de 77 forages fonctionnels, plus une adduction en Eau Potable Simplifié (AEPS). On dénombre 33 forages en panne.
Sur la base de la norme nationale en matière d’approvisionnement en eau potable qui est d’un point d’eau potable moderne (PEM) fonctionnel pour 300 habitants, lacommune présente un ratio d’un PEM pour environ 461 personnes.
En plus, il y a un manque de personnel avec 61 enseignants pour 84 classes, soit un déficit de 23 enseignants. Le personnel administratif est sérieusement insuffisant, avec plusieurs services de la CEB (circonscription d’éducation de base) qui manquent d’agents.
« Certaines écoles sont en mauvais état. Les taux de couverture des infrastructures annexes sont de 23,53% en forages, 50% en latrines, 72,61% en logements d’enseignements », selon le Plan communal de développement (PCD) de Baraboulé.
Abdoul Ouédraogo, un agent de l’Administration publique en service dans la commune, parle avec dépit de sa vie dans cette localité : « Le problème à Baraboulé, c’est qu’il n’y a aucun barrage. Nous passons de long mois sans eau. Nous avons à peine trois mois de pluie continue. Ce n’est pas facile quand on n’est pas habitué. En plus, les services de l’Etat sont très restreints ici ».
Une comparaison des indicateurs de développement de Djibo (chef lieu du Soum) avec ceux de trois autres villes, chef-lieux de provinces voisines, où il n’y a pas d’attaques terroristes, montre clairement que la province du Soum est démunie en matière d’infrastructures socioéconomiques de base, par rapport autres provinces voisines.

La commune de Nassoumbou (dans la province du Soum) a enregistré le 16 décembre 2016 une des plus meurtrières attaques terroristes qui a visé l’armée burkinabè. Vers cinq heures du matin, une quarantaine de djihadistes venus du Mali attaquent le poste militaire de l’armée burkinabè à Nassoumbou et tuent 12 soldats et en blessent plusieurs autres. Ansaroul Islam, premier groupe terroriste burkinabè, venait de commettre son premier forfait.
Dans cette commune Nassoumbou, la situation de l’accès à l’eau potable n’est guère meilleure. Sur dix forages existant en 2009, seulement six sont fonctionnels pour une population estimée à 20 165 habitants.
La thèse selon laquelle la radicalisation, et la manifestation de la violence par certains ressortissants de la province du Soum(naissance d’Ansaroul Islam), est liée au manque d’investissements publics est en partie une réalité.
Pour Mamadou Savadogo, spécialiste de gestion des risques des ONG et consultant sur les questions de résilience à l’extrémisme et à la radicalisation au Sahel, « le manque ou l’absence d’investissement, ou de façon générale l’absence de l’État au service de la population a été un terreau fertile sur lequel les groupes terroristes ont su surfer pour faire basculer les populations du Sahel dans la radicalisation et l’extrémisme violent ». Selon lui, ceux qui empêchaient le « verrou de sauter », en l’occurrence la chefferie traditionnelle, a été politisée et affaiblie par les hommes politiques.
L’autre réalité est la frustration générée par les rapports difficiles qu’entretiennent les habitants de la région, à majorité peuls, avec les représentants de l’Etat. Un ancien combattant d’Ansaroul Islam, nommé Gorko Boulo, avait confié au journal Le Monde dans une interview publiée le 10 décembre 2017, les raisons qui ont poussé Malam Dicko à s’en prendre aux soldats burkinabè et à tous les symboles de l’Etat. « En novembre 2016, Malam est rentré au Burkina pour voir de la famille. Il a trouvé son village, Soboulé, assiégé et humilié. Les militaires étaient là. […] Ils s’en sont pris aux pauvres paysans. C’était comme si on leur avait dit que tous les Peuls étaient djihadistes. Ils n’ont pas tué, ils ont humilié. Ils ont réuni les familles dans le village, ont déshabillé les vieux, les ont fait courir, danser, chanter et faire des pompes devant leurs femmes et leurs belles-familles car ils savaient que dans notre coutume, c’était une honte », expliquait-il.
Selon Ousmane Bélem, directeur régional de l’Economie et de la Planification de la région du Centre-Nord, par ailleurs ressortissant de la province du Soum, « le manque d’infrastructures n’est pas la raison première des attaques terroristes, mais il en est un ». Il y a d’autres problèmes qui se posent dans cette localité.
Dans le département de Nassoumbou, précisément dans le village de Kourfayel, un enseignant du nom de Salifou Badini a été assassiné dans son école, quasiment devant ses élèves. La raison est qu’il n’a pas respecté la consigne des terroristes consistant à prévenir que désormais les modules d’enseignement seront dispensés en langue arabe au lieu du français naguère en vigueur.

La réponse du gouvernement
Après la chute du régime de Blaise Compaoré, les nouveaux dirigeants du pays (en place depuis fin 2015) ont manifesté leur volonté de combler les écarts de développement entre régions, notamment en ce qui concerne le Sahel.
Le Programme d’urgence pour le Sahel (PUS-BF) 2017-2020, a été lancé le 03 août 2017 avec pour objectif « de contribuer à l’amélioration de la sécurisation des personnes et biens, à la réduction de la vulnérabilité, en renforçant la présence de l’Etat, dans la région du Sahel ».
D’un coût global estimé à 455,32 milliards de F CFA, les réalisations de ce programme restent jusque-là peu visibles. Ce qui contribue à exacerber la situation, tant « le gouvernement continue ainsi de perdre en crédibilité dans la région », reconnaît un cadre du Mouvement du Peuple pour le Progrès (MPP), le parti au pouvoir. En plus, soutient Mamadou Savadogo, « les investissements au Sahel, quand ils ne sont pas rares, ne sont pas adaptés aux besoins des populations ».
Selon Mikaïlou Sidibé, expert en infrastructures au G5 Sahel, « dans les contrées où l’Etat est dans l’incapacité d’assurer la sécurité la plus élémentaire et les infrastructures sociales de base, il n’y a pas de développement possible. Puisque les investisseurs ne vont pas y aller et les populations en souffriraient ». « C’est la preuve du lien étroit entre développement et sécurité », explique-t-il.
C’est pourquoi, dit-il, « on remarque que les zones où l’Etat est le moins présent sont les plus en proie au phénomène de l’extrémisme violent. C’est le cas au nord du Mali, au nord du Burkina, au sud-ouest du Niger, etc. ».
La région du Sahel, particulièrement la province du Soum, qui est l’épicentre de la montée de l’extrême violence, s’inscrit donc dans cette logique, selon l’expert.
Mikaïlou Sidibé, qui reconnaît que cette crise découle en partie de celle du Mali, se dit convaincu qu’il faut des réponses appropriées. Selon lui, « c’est par la réalisation d’infrastructures interconnectées (hôpitaux, barrages, routes, écoles…) que les Etats pourront solidairement minimiser les clivages frontaliers ».
« Il est impérieux de mettre un accent particulier sur le développement et la sécurisation des zones transfrontalières qui sont sous développées, sous peuplées, sous administrées, en travaillant à l’émergence de véritables pôles de développement. Seuls ces pôles pourront nous prémunir des jeunes qui, faute de travail, se font enrôler dans les groupes armés », conclut-il.

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